Minuit amnesie

Je rentre, il est un peu plus de minuit, je suis fatiguée et la nuit froide a laissé sur ma poitrine un drôle de poids.

J'ai marché un long moment comme ça, les mains dans les poches, le nez enfoncé dans les dernières vapeurs d'alcool et rires partagés. Je n'ai pas emprunté les grandes rues et leurs lampadaires plantés tous les cinq mètres, mais les étroites qui serpentent entre les volets clos. Je n'ai croisé personne, enfin quasiment, quelques voitures, un couple rentrant chez lui, c'est tout. Mais c'est un tout qui vaut de l'or. C'est grisant parfois de n'entendre que son pas. Plus grisant encore de se dire que peut être il ne s'arrêtera pas. Mais il s'arrête toujours puisqu' elle arrive forcément tôt ou tard l'heure de rentrer chez soi. Pourtant, je n'y pense pas en ouvrant le porte. La poignée ne m'offre aucune résistance, juste son évidence, mais je ne m'en étonne pas.

Arrivée dans la chambre, je n'allume pas la lumière. Les volets sont entrouverts et je distingue quelques ombres qui me suffisent. Je me déshabille dans cette obscurité familière, je n'ai pas besoin d'y voir vraiment , je sais la place de chaque meuble, je suis chez moi, mais je n'y pense pas, je ne m'étonne pas.

Sans même le chercher, je trouve mon lit, glisse dans les draps, ils sont froids. J'ai froid. Je remonte la couverture sur moi, remonte les genoux, me pelotonne, ferme les yeux, n'y pense toujours pas. J'ai les muscles lourds, la tête vide, le nez dans l'oreiller, je souris. Dans quelques minutes à peine je vais m'endormir, je vais être bien et alors j'y pense enfin.

Je pense aux nuits passées les yeux grands ouverts. Les miennes, celles des autres, ceux qui restent enfermés dehors. Les yeux grands ouverts car dans les chambres de plein air l'obscurité n'est jamais familière. Je pense à la chance qui est mienne d'avoir un toit et m'étonne de ce bonheur dont je ne fais même plus cas. De ce temps que je ne prends même plus pour lui allumer la lumière.

Je m'étonne d'être heureuse, de l'être si pleinement, si simplement, sans retenue aucune, de l'être parce que j'ai oublié justement que je l'étais.

Je me dis alors que le bonheur c'est ça, juste ça, une amnésie que certains n'ont jamais su oublier.

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