Les clous bleus

Sa culture chrétienne ne lui était venue que sur le tard. Elle avait été baptisée certes, mais n'avait rien connu des leçons de catéchisme du mercredi soir. Ainsi, lors de sa première rencontre avec Dieu, elle n'avait pas été impressionnée outre mesure. Elle était alors en vacances chez de vieilles personnes, dont elle serait bien incapable aujourd'hui de déterminer le lien de parenté, et il y avait au dessus du lit où elle dormait, un Jésus sur sa croix. Elle ne savait pas grand chose, pour ainsi dire rien, de ce drôle de bonhomme rachitique et sévère, elle trouvait juste qu'il avait l'air bien seul, piqué au clou sur son fond de tapisserie bleutée. Bien seul et peu ordinaire, du coup elle lui prêtait mille et une histoires à raconter. Sous ses couettes de six ans, elle se demandait bien d'ailleurs comment le faire parler, se doutant qu'il n'y avait pas à le chercher dans ce rendez vous du dimanche matin où l'on venait pour la première fois de la trainer. Elle avait d'ailleurs posé un œil plus qu'interloqué sur cette drôle d'armée de socquettes blanches et de médailles, de serre-tête de velours et de sourires tiédasses. Il lui avait semblé à elle, et elle en restait aujourd'hui encore persuadée, que croire n'était pas une douce affaire contrairement à ce qu'ils avaient essayé de lui faire avaler. Le Jésus de la chambre bleue, en tous cas, n'avait pas sur les lèvres le sourire niaisement satisfait qu'affichaient sur le parvis les paroissiens qu'elle découvrait. Avec ses muscles tout crispés, ses joues creuses et sa barbe mal taillée, il avait plutôt l'air de passer un sale quart d'heure et de se faire violence pour croire aux histoires qui se chuchotaient. D'ailleurs, tout était violent autour de lui : sa grosse maison sans fenêtre qui faisait de l'ombre même en plein soleil, son eucharistie qui cachait des histoire de sangs et de corps mangé, son signe de croix qui martelait les poitrines sans arrêt, son geste de vaincu quand il fallait toutes les deux secondes s'agenouiller sur du dallage glacé... Bref, il n'y avait vraiment pas de quoi chanter les bêtises toutes sucrées qu'elle avait essayé d'ânonner avec les autres et, il faut l'avouer, que ça lui plaisait bien cette sensation du violent dans sa tête d'enfant, ça faisait histoire mystérieuse, histoire d'antan, ça lui mordait les tripes en dedans. Alors domestiquer l'idée de Dieu, la Foi,elle trouvait ça très décevant, très en deçà de ce que murmurait le monsieur accroché sur la tapisserie bleue. Et puis le Jésus, tout maigre et tout galeux sur sa croix, comment avaient-ils fait au juste pour le déclouer si facilement et l'amidonner sur le vélin hors de prix de leurs missels alignés? Comment faisaient-ils pour croire, englués qu'ils étaient dans leur troupeau bêlant des dimanches matins règlementés? Ou alors c'était juste du pour faire semblant, un jeu de grands... Comme elle pouvait jouer aux gendarmes et aux voleurs dans la cour de récré en mettant un point d'honneur à être du bon côté...

Elle n'était sûre de rien encore, et ne l'est toujours pas je crois, mais ce qui certain c'est qu'elle croisait Dieu pour la première fois et elle en était triste comme de voir un ami floué.

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