La Cécile s'est mariée

La Cécile s'est mariée, vrai de vrai, il paraît même que c'est elle qui a soufflé l'idée à celui qui allait devenir sa moitié. Mais sa moitié de quoi au juste? Parce que dit comme ça, ça fait imparfait...
Sa moitié d'oreiller à la nuit tombée? Sa moitié de tasse à café sur la table du petit déjeuner? Sa moitié de factures mensuelles à régler...?
Sa moitié de vie vue au rabais?...

Elle dit ça, parce qu'elle les entend, les nombreux, à s'esclaffer et juger, à dire que le mariage ça sert à tout gâcher, à gâcher la marguerite au milieu de l'herbier. Ils disent que ça fait "installé" et qu'à trop s'installer on finit par en crever.

Ils disent encore que ça les fait moins marrer cette vie rangée, qu'ils la préféraient avant la Cécile, avec son répertoire alambiquée, avec ces filles et ces garçons qu'elle leurs présentait, déprésentait, le verre toujours à la main et la mine patentée. Ils trouvaient qu'elle savait vivre, qu'elle savait s'amuser, qu'elle avait belle allure sa liberté. Et puis voilà qu'elle s'est entichée d'un seul prénom, sa satanée moitié.
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C'est vrai que la Cécile ne papillonne plus, qu'elle ne colle plus de peaux inconnues à la sienne pour se sentir moins nue. Et c'est vrai encore que c'est sans doute moins drôle à regarder, mais à vivre, croyez la, c'est autrement plus osé...

C'est si simple de s'ouvrir et de vibrer à chaque nouvelles caresses croisées, on croit alors tout réinventer, on s'ouvre comme aux premiers feux avant de se refermer et d'aller voir ailleurs si on peut recommencer... Mais là, avec la même peau sur l'oreiller, qui chaque jour vous fait face sans se dérober ni jouer, on est obligé de creuser, et c'est fou comme on ne cesse pas de vibrer à empiéter toujours plus loin sur le territoire de sa moitié. Au début, on ne se croit pas armer, on écoute les autres rabâcher les dégâts du ronron familier et on attend de se faire enliser, un peu résigné... Et puis un jour, on se réveille à côté de ce corps qui n'est plus celui d'un étranger. On le hume, on le guette, on pressent le premier geste et quand il vient, loin de décevoir, il prend aux tripes au contraire. Il surprend à être si exact, et l'habitude tant décriée devient celle des soleils qui se lèvent. Des soleils inamovibles qui découvrent chaque jour de nouveaux chemins où se perdre jusqu'à se retrouver. On ne les verrait sûrement pas si le soleils déviaient de cette course perpétuelle...Je ne les verrais sûrement pas si ton corps ne devenait pas chaque jour l'endroit où je nais...

Le cordon de cette naissance, ça pourrait être ces alliances gravées que l'on promène sous nos nez. Ces anneaux qui, elle le sait, vu de loin, sentent la propriété, puent la sécurité des couples en mal de certitudes et de serments croisés. Pourtant, elle, ça fait tout sauf la rassurer de regarder la sienne briller, parce que c''est comme se balader avec une promesse pas muselée et il faut se faire toute grande pour ne pas la perdre en la laissant glisser. Et puis, ça ne l'aliène pas non plus à sa moitié, loin de là. Pour la porter comme elle veut la porter, il faut être Soi au contraire, plus encore que d'ordinaire. Être soi pour être un peu fière de ce que l'on a à donner. Et c'est difficile d'être fière pour un public qui se restreint à n'en faire plus qu'un. C'est difficile et exigeant de n'avoir plus d'échappatoire et de vents contraires.Mais Dieu! que cette discipline lui en apprend sur elle et sur ce qu'elle a tout au fond!

Alors, elle ne sait pas si elle devient meilleure, elle ne sait pas si elle peut en être fière, mais elle sait, la Cécile, que sa moitié lui ouvre de nouveaux sentiers qui, sous l'apparence ordinaire, l'amènent à vivre au-delà d'elle, au- delà de lui, à découvert.

...Au fond, c'est en me donnant à toi que j'aime que je me rends aussi à moi- même...

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