Le lendemain de la plume

Ce jour là, il n'a pas suivi la plume jusqu'à sa destination finale. Sans doute n'en avait-elle pas d'ailleurs et est-elle toujours en train de voyager de semelles en courants d'air. Il avait eu froid bien avant que le vent ne se couche et s'était engouffré dans la première bouche de métro. Dans cette drôle de ballade, il avait en tous cas pris goût à quelque chose. Il ne savait pas bien quoi encore, mais c'était là, dans sa lèvre qui se prenait à esquisser un sourire. Un quelque chose qui ressemblait à ce qu'enfant on peut ressentir quand on est seul et que la solitude devient une camarade de jeu. Maintenant encore, la solitude, il la connaissait bien, mais elle ne jouait plus. Elle faisait son importante, l'écrasait, le compressait, poussait sur lui, de dehors, de dedans. Parce que même dedans il se sentait seul.Si seul qu'il en faisait parfois des rêves fous, des choses folles. Par exemple, lorsqu'il allait faire ses besoins, accroupi derrière le gros chêne au fond des bois, au loin. Il se promettait à chaque fois de ne pas le refaire, c'était tellement ridicule et imbécile, mais le refaisait quand le même. C'était une sorte de jeu, mais très sérieux, où il fermait les yeux et essayait d'inverser le cours des choses. L'espace d'un instant, en se concentrant bien, il se persuadait en effet que la matière rebroussait chemin, qu'elle n'était plus en train de le quitter, mais, bien au contraire, de remonter en lui pour le remplir et l'habiter. Il arrivait presque à aimer ça, à trouver plein de grâce à cette situation, plein de joie, comme si soudain, dans son corps, ils étaient vraiment deux, deux amoureux qu'on ne sépare plus. Il n'était pas fou cela dit, il savait bien que tout ça ce n'était qu'une légère déformation du ressenti, une façon pour le cerveau de regarder de biais, de faire celui qui ne comprend pas tout pour mieux en rêver. Il savait que c'était comme quand on laisse sa main quelques secondes sous l'eau bien chaude et que les sens se trompent et confondent brûlante et glacée. Ça arrive très souvent ça, on s'en étonne moins bien sur parce qu'on n'a pas le pantalon sur les chevilles devant des mésanges désappointées, mais ça arrive tous les jours et à beaucoup de gensIl se sentait seul donc et c'est ce qui lui pesait le plus. Parce que le froid, la faim, ça passe, au fond, quand il n'y a personne à qui le dire, avec qui avoir faim et froid. Quand on ne prend plus la peine d'articuler les mots à l'Autre, à haute voix, on les oublie même pour soi. Ça devient des données abstraites, des choses qui existent, ailleurs, mais pas ici, puisqu'ici on ne les nomme plus. Les langues mortes ne peuvent pas avoir faim.

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