Les passants

J'aime m'installer à la terrasse d'un café et regarder les gens passer. Je ne regarde pas vraiment qui ils sont, s'ils sont beaux, laids, jeunes ou vieillissants, je n'en sais souvent rien à dire vrai. Je les regarde juste marcher.
Un pas, c'est comme une voix, ça porte et ça démontre. Il y a ceux qui trottent rapide, comme une récitation apprise par cœur et qu'ils débitent automatique. Ceux qui flânent, bras ballants, digressent à n'en plus finir et en oublient la conclusion. Il y a les par deux qui, bras dessus, bras dessous, ne marchent qu'en conversation. Et tous les autres encore, tous à leur façon émouvant car l'espace d'une enjambée un peu plus transparents.
C'est un éternel passant qui m'a appris à les regarder ainsi. C'était un de ses passe temps favoris. Il prenait une silhouette dans la foule, la suivait quelques mètres et lui choisissait un petit sobriquet souvent taillé sur le fil. Mais il n'avait pas un œil méchant, pas vraiment moqueur non plus, il n'était pas en bois c'est tout, de cette langue il ne lui restait d'ailleurs que les veines, avec dans la gorge tous ses noeuds..
A mon tour, bien évidemment, je l'ai regardé, mais je ne l'ai jamais vu marcher. Ça semble fou, mais ça n'en est pas moins vrai. Il frôlait à peine le sol, coulant plus qu'avançant me semblait-il. Comme les algues prises entre deux eaux et qui, par un effet d'optique, paraissent se déplacer. Je l'ai pourtant regardé longtemps, vraiment longtemps..Marchait-il sur la pointe des pieds ? Y avait-il dans sa démarche un léger claudiquement qui m'aurait échappé?... Je n'ai jamais trouvé la réponse et ai fini par ne plus la chercher.
Peut-être que certains d'entre nous, ceux qui se savent pertinemment et uniquement de passage, ont la délicatesse de ne pas encombrer le sol de leur parages... Peut-être qu'un seul regard posé ne suffira jamais à lester les empreintes de tous les promeneurs qui croisent nos terrasses de café.

Aucun commentaire: