Des rails

Je ne regarderais pas les étoiles ce soir, non que je fasse la tête au ciel, mais j'en ai ma claque des planqués qui zieutent, tranquilles, de là haut, sans jamais se pencher. Alors, non, je n'ouvrirai pas la fenêtre, mais si je pouvais, si j'avais le courage de trainer ma carcasse et ma chienne, c'est près d'une voie ferrée que j'irais m'asseoir et regarder. Je poserais mes fesses sur une pierre et je regarderais les deux grandes barres parallèles de fer. Ces deux grandes barres que les hommes aiment et qu'ils suivent pour avoir l'air de ne jamais trainer de chaines. Certains fuient, d'autres cherchent, la plupart se contentent de relier des points déjà tracés, mais tous aiment ça, être en mouvement, ça leur donne le sentiment d'être vivant. D'ailleurs, pour eux, une voie ferrée ça n'a de sens que quand ça les mène où ils veulent aller (oui, c'est comme ça l'humain, c'est souvent petit quand ça dit aimer, mais par chance les choses sont moins bornées)

Moi, je me fiche de bouger, j'aimerais juste rester immobile, assise, parallèle à la voie ferrée. Toutes les deux, on se mettrait alors à voyager, loin, très loin, sans peur de dérailler. Je regarderais ses bouts de bois, ses cailloux, ses rivets, ce serait aussi beau qu'une voie lactée. Elle, elle se coucherait fatiguée à mes pieds qu'elle remercierait, je crois, de ne pas trépigner. Je lui raconterais tout et n'importe quoi, désherberais gentiment son gravier pendant qu'elle s'amuserait a faire des nœuds à mes lacets pour m'empêcher de tomber. Je lui dirais que les étoiles m'indiffèrent avec leurs petites gueules d'anges bien rasés, que je préfère cent fois ses travers à elle, ses clous tordus et ses petits escargots collés. Je lui dirais encore que continuer de marcher, parfois, ça me fatigue tant que je voudrais m'arrêter, me poser dans l'herbe, comme elle, et laisser les autres le faire puisque ça leur plait tellement d'avancer. Elle ne répondrait rien, bien sûr, mais on n'aurait pas besoin de bruit pour s'écouter. Et quand, tout au bout de sa voie, on entendrait le train arriver, elle me laisserait jouer les fiancées et me coucher tranquille entre ses deux bras rouillés.

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