Fonds de café

Il aimait le café. Sans doute son odeur lui rappelait-elle celui que prenait chaque matin son père, sa mère lui préférant la chicorée. L'odeur passait sous la porte, le réveillant souvent avant l'heure, et il se pelotonnait sous la couverture pour écouter le silence religieux qui se faisait alors dans la pièce d'à côté. L'heure du café avait quelque chose de sacré en effet, comme toutes ces choses qui adoucissent la perspective des journées mornes. Mais peut-être, au fond, ce qu'il aimait n'était simplement le souvenir d'une cuisine douillette, d'une casserole qui chauffe sur la gazinière, et tant pis si elle chauffe trop fort, café bouillu, café bu quand même.Il aimait le café et ça lui prenait parfois plus d'une heure, le matin, pour le préparer. Il fallait d'abord qu'il se rende à la gare, qu'il prenne le couloir menant au quai A et que dans un renfoncement il attende patiemment que ça se remplisse. Le TER de 7h08 était le plus généreux. Ils se pressaient alors par groupes autour de la machine, fouillaient leurs poches, s'impatientaient, trouvaient enfin la pièce et avalaient le breuvage à peine descendu dans le gobelet. Toujours pressés, toujours fermés, sans une pensée c'est sûr pour leur père, leur mère et même la chicorée, le gobelet finissant lui sa course dans la poubelle. A 7h09, le couloir se vidait brusquement et il n'y avait plus qu'à se pencher pour les ramasser.La plupart ne s'étaient pas renversés et il restait dans beaucoup un fond du liquide brunâtre tant convoité. En premier lieu, il prenait donc soin de choisir le gobelet qui allait lui servir. Délicatement il plongeait la main dans la poubelle, il fallait un geste léger pour ne pas voir basculer l'échafaudage précaire des gobelets de plastiques. Son œil, habitué, repérait le moins abimé, le moins mâchouillé sur les rebords. Quand il le pouvait, il aimait à le choisir auréolé d'une trace grasse et brillante de rouge à lèvres, le rose tendre étant son préféré. Une trace comme un baiser posthume, une rencontre à rebours sur le coin du gobelet. Une fois choisi, il lui suffisait de transvaser dedans tous les fonds de cafés qu'il pouvait récupérer. Il sortait alors vite du boyau étouffant du couloir et allait le boire assis sur un banc, sous un platane. Souvent il était encore tiède, rarement bon, mais il avait le goût du matin, comme un clou planté sur son calendrier absent.

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