Le sentier

Ciel gris dehors. Ciel gris dedans. Cernée sous tous les fronts. Pour s'échapper, derrière ses paupières, elle fait le noir. Elle tâtonne dans tout son gris. Elle voudrait trouver une porte. Juste l'ouvrir, l'entendre gémir. Elle voudrait trouver derrière un chemin. Non, même pas, un sentier. Un sentier blanc entre des mottes de terres sèches. Un plateau de landes mortes avec un ciel , blanc lui aussi, par dessus. Elle voudrait des herbes hautes sur le bord de son chemin, des herbes qui chatouilleraient la paume de ses mains si, soudain, l'envie la prenait de se promener les mains ouvertes. Elle voudrait du vent, du vent chargé de parfums, celui de l'herbe, celui du crin. Oui, elle voudrait qu'il y ait un cheval pas loin, un cheval qui s'ennuie. Il s'ennuierait et alors, devant son enclos, elle pourrait s'arrêter, l'apeller, le caresser et croire qu'il n'attendait qu'elle. Elle pourrait se dire que les hommes n'ont decidemment rien compris, que ce sont les bêtes qui savent, et ainsi de suite en reprenant son chemin. Elle continuerait à se rabâcher ces choses qu'on dit pour avoir moins froid, pour croire que toute cette solitude c'est un choix. Même que ça lui ferait du bien ces petits mensonges, parce que ce ne sont jamais les gros arbres qui font les radeaux de fortune, mais les petites branches qu'on accumule. Un peu plus loin sur le chemin, elle voudrait une vieille cabane aussi. Une maisonnette de pierre, un peu éboulée, qui aurait servi, il y a des années, à entreposer du bois et des outils. Elle passerait à côté avec son ventre tout chargé d'images : d'hommes rustres et de mains qui arrachent. Des hommes de la campagne qui sentent la terre jusque sous les aisselles et qui fument des gitanes. Des hommes qui besognent les filles dans les vieilles cabanes, sans dire un mot, sans retirer leurs habits et qui ne disent pas merci. Et puis après tout ça, la tête un peu ivre, elle voudrait rentrer. Elle voudrait qu'un homme l'attende, assis devant un feu, avec un épagneul couché à ses pieds. Elle voudrait retrouver de ces images qu'elle ne connait pas, qu'elle a lues dans des livres et dans les yeux de personnes très âgées, ces images rassurantes comme l'odeur de la laine mouillée. Cet homme, elle voudrait dire que c'est son homme. Il ne serait pas beau, il serait grand, il aurait des mains comme des gifles qu'on retient de pleurer. Ils ne se parleraient pas, mais il partageraient le fumet d'un café, assis côte à côte, devant le feu et l'épagneul qui sent le chien mouillé. Le temps passerait lentement, très lentement, mais ils n'essayeraient pas de lui faire du mal avec leurs mots maladroits, ils continueraient de se taire. Le ciel, lui, resterait gris, mais elle ne chercherait plus à partir. Elle attendrait, tranquille, que les nuages crèvent et se répandent sur la terre.

2 commentaires:

Tof' a dit…

J'ai aimé emprunter ce sentier qui est le vôtre, mais puisque vous nous y invitez...;-)
Un très beau texte, auquel je suis sensible... Merci.

("Il ne serait pas beau, il serait grand, il aurait des mains comme des gifles qu'on retient de pleurer." <3 )

Cécile Fargue Schouler a dit…

Merci Tof'