Laure

Ah! vous êtes venus. C'est gentil, mais il ne fallait pas, j'aurais pu me débrouiller toute seule vous savez...


Quelques cachets oui...


Je ne sais pas. Les boites sont là, à côté de la bouteille. Mais je ne suis pas ivre, hein. Et puis j'ai pas vraiment voulu me tuer. Pas du tout même. Je voulais juste qu'il cesse de me parler....


Ben lui, Philippe...


Non pas moi, mon prénom à moi c'est Laure. Philippe c'est ce qu'ils vous ont

dit parce que...parce qu'ils ne savent pas, ils se sont trompés...


Faites attention! les bouts de verre...


Oui c'est avec ça que j'ai coupé. Ce miroir, son reflet. J'en peux plus, vous comprenez? Il est dedans, toujours...


Qui, qui?! Mais Philippe! Il m'observe, me guette. A chaque fois, son regard sur moi, j'en ai mal au ventre. Et tous les matins, ça recommence : cette peur dans la salle de bain que cet étranger m'attende. Il reste là, entre mes cils ouverts, et me viole à chaque battement de paupières. Mais vous avez vu?! Vous avez vu ce qu'il m'a fait?! Sur mon visage, mon corps...et là, entre mes cuisses, ce carnage... Je voulais juste qu'il arrête, crier pour une fois plus fort que lui.


Quoi? Travesti?...Si vous voulez oui. Si ça vous aide à mieux me regarder... Non, mais je ne vous en veux pas vous savez. Moi aussi j'évite mon regard. Voyez, j'en suis même venue à briser les miroirs...Vous avez le droit de me ranger dans une case. Des cases à cocher ils en avaient plein à me faire remplir. Il fallait voir disaient ils, s'assurer... Refoulée! Trop instable ont-ils jugé...Tenez, vous pouvez regarder, j'ai le papier là. Pas de traitement, pas d'opération. Rien. Ils me laissent à lui, j'ai plus qu'à lui obéir...Non, ça va, vous pouvez serrer un peu plus, je ne sens rien... C'est quand même bête hein? Même pas réussir à le couper...J'ai eu trop peur...Vous me trouvez belle?...


Non...non, ne répondez pas, je vois bien que je vous gene...Je voulais juste poser la question, la goûter sur ma langue et mon palais... Pourquoi n'y aurais-je pas droit?... Vous savez, quand je sors parfois la nuit, je porte une petite jupe grise en laine, avec mes bas noirs dessous et mes talons vernis...Il y en a, pour s'écouter vivre, il leur suffit de s'entendre rire, ou chanter, même parler. Moi, je ne peux pas. Pas avec cette voix en tous cas. Alors je m'écoute marcher. J'écoute la soie qui crisse entre mes cuisses, la laine qui accroche doucement, et puis mes talons sur le trottoir...clic, clic, clic... J'aimerais que mon cœur batte comme ça lui aussi...Et je suis bien là, vous savez. Il y a des gens qui me croisent, me sourient, se retournent...Peut être me trouvent-ils jolie...Vous croyez que c'est ce qu'ils pensent?...Oh! puis peu importe, ils me voient, c'est déjà ça, Philippe perd quelques fois....


Tiens, vous me regardez vous aussi, c'est la première fois que vous osez dans les yeux...Merci....Oui, ils sont gris. Comme ceux des chattes...Ne me jugez pas. Je sais que c'est facile, mais ne me jugez pas. Je ne suis pas contagieuse, juste malheureuse, il paraît que ça suffit à gacher une vie...


S'arranger?...Oui... Il faudrait vivre les yeux retournés... Il n'y aurait plus besoin alors de tout ce maquillage, de tout ce platre qui colmate la faille...


Oui, je ris... Je ne suis pas folle. Mais regardez un peu tout ce sang et cette queue dont j'ai fait de la charpie...Je crois que je l'ai bien eu hein, il ne reviendra plus!...


L'hôpital? Oui...je vais vous suivre... Mais il faut que je m'habille un peu...Passez moi le pull là. Ou non. Non. Je vais garder mon chemisier....C'est pas grave si je ne suis pas épilée.

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